Startup à mission : naviguer avec une « boussole » stratégique dès le début
Dans cet article, initialement publié dans HBR France, Yasmine Machwate et Justine Soudier (EDHEC Entrepreneurs, EDHEC Centre for Responsible Entrepreneurship) décrypte les startups à mission, engagée en faveur des causes sociales ou environnementales, et véritable levier stratégique pour conjuguer croissance économique et développement durable.
Les startups qui placent leur mission sociale ou environnementale au cœur de leur ADN se multiplient. Au-delà des bonnes intentions, définir et protéger cette mission dès ses débuts est un atout stratégique.
L’engagement en faveur des causes sociales ou environnementales constitue le cœur des « startups à mission ». Au-delà des bonnes intentions, cette « promesse » est un levier stratégique pour conjuguer croissance économique et développement d'une société plus équitable et plus durable.
De la start-up à la start-up à mission
À mesure que les crises mondiales s'intensifient, les start-up se trouvent aujourd'hui à la croisée des chemins. Elles sont souvent perçues comme des moteurs d'innovation, capables de résoudre certains des plus grands défis de notre époque.
Cependant, leur engagement initial entre souvent en conflit avec la pression exercée par l'écosystème entrepreneurial pour une croissance rapide, ce qui amène certaines start-up à compromettre leurs valeurs (« Should Your Start-up Be For-Profit or Nonprofit? », de Cait Brumme et Brian Trelstad, Harvard Business Review, 2023).
C'est dans ce contexte que le modèle des « Sociétés à mission » a émergé, avec le rapport Notat-Senard (« L'entreprise, objet d'intérêt collectif », de Jean-Dominique Senard et Nicole Notat, Ministère de l'Économie, 2018), qui place la raison d'être au cœur de l'ADN des entreprises. Ce concept gagne en reconnaissance, notamment en France, où de nombreuses start-up ont déjà adopté ce statut.
Ainsi, les start-up à mission proposent une nouvelle voie, où la « promesse » fondatrice de l'entreprise est une véritable boussole qui oriente chaque décision vers un impact durable, au bénéfice de l'ensemble de la société (« Société à Objet Social Étendu », de Collectif, Presses de Mines, 2016 / « What Characterizes Organizations that Work-Mission-Driven? », DDC, 2024).
Pourquoi définir une mission « by design » ?
La mission d'entreprise ne se résume pas à un simple slogan. Elle doit être l'épine dorsale de sa stratégie, guidant chaque décision et action. Comme l'explique Ranjay Gulati dans son ouvrage (« Deep Purpose, The Heart and Soul of High-Performance Companies », R. Gulati, Harper Business, 2022), une mission bien définie dès les débuts crée une « inside-out perspective », où la mission est le point de départ de toutes les décisions stratégiques, plutôt que d'être dictée par des pressions externes.
Ainsi, définir sa mission « by design », c'est-à-dire dès les débuts, permet de l'intégrer pleinement au cœur de la start-up. C'est tout le sens de la méthode « Responsible Entrepreneurship by Design » (RED) (« Le Guide de la responsabilité en start-up », de EDHEC Business School, 2023) que nous avons développée au sein du Center for Responsible Entrepreneurship de l'EDHEC. Cette approche vise à accompagner les entrepreneurs dans l'alignement de leur mission d'entreprise, leur modèle d'affaires et leurs opérations, dès les premières étapes du développement du projet.
Cette approche permet aux start-ups de rester concentrées sur leurs objectifs à long terme, même lorsque les pressions du marché ou les investisseurs incitent à des décisions tactiques à court terme. Cela leur permet également d'éviter ce que nous avons appelé la « dette ESG » (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), c'est-à-dire l'accumulation de pratiques non durables qui peuvent nuire à long terme à la viabilité et à la réputation de l'entreprise (« Qu'est-ce que la dette ESG des start-up, ce "poids invisible" ? », de Ludovic Cailluet, Yasmine Machwate et Justine Soudier, Harvard Business Review France, 2023).
Créer sa matrice de décision grâce à la mission
En plus de fixer un cap clair dans un contexte changeant et imprévisible, passer d’une start-up à une « start-up à mission » est un enjeu crucial à plus d’un titre.
Se référer à une mission bien définie est un atout pour créer la matrice de décision de l'entreprise, autrement dit un outil qui permet d'évaluer et de déterminer la meilleure option parmi différents choix (« La mission de l'entreprise responsable. Principes et normes de gestion », de Blanche Segrestin et Kevin Levillain, Presses Mines, 2018). C'est essentiel pour prendre des décisions courageuses et différenciantes, particulièrement dans les moments difficiles, à l'image de Patagonia qui a lancé une campagne intitulée "Don't Buy This Jacket" pour inciter les consommateurs à réduire leur impact environnemental (« Don't Buy This Jacket », Patagonia, 2011).
En effet, si le modèle d'affaires d'une start-up peut évoluer au fil des itérations, la mission doit rester suffisamment flexible pour s'adapter à ces changements tout en restant fidèle à l'objectif initial. Cela implique parfois de faire des choix coûteux à court terme, ou bien de renoncer à des opportunités immédiatement profitables. Mais ces décisions en accord avec la mission d’entreprise renforcent l’alignement et donc la performance à plus long terme.
C’est le cas de Lush qui a pris la décision de se retirer des principaux réseaux sociaux, considérés comme contraires aux valeurs de l’entreprise. Ou encore la start-up française 1083, spécialisée dans les jeans et chaussures fabriqués en France, qui a choisi de maintenir une production 100% française, plutôt que de céder à la tentation de délocaliser pour réduire les coûts. Ce choix a non seulement fidélisé une clientèle engagée, mais a également renforcé sa mission de relocalisation industrielle. En conséquence, Lush et 1083 ont su fédérer une communauté de clients qui partagent leurs valeurs, contribuant ainsi à leur croissance durable.
La mission, socle d’un engagement fort des parties prenantes
Une mission bien définie est également un puissant vecteur pour créer et maintenir une communauté engagée autour de l'entreprise. Selon Kevin Kelly, co-fondateur du magazine Wired, une mission claire peut transformer les premiers clients en « 1 000 vrais fans » (« 1,000 True Fans », de Kevin Kelly, kk.org, 2008). Il estime que les premiers adeptes d'une entreprise ne sont pas simplement des clients. Ces "vrais fans" sont des ambassadeurs passionnés par la mission, prêts à soutenir la start-up même lorsque ses produits ou services ne sont pas encore parfaitement aboutis ou encore à l'étape du « MVP »...